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C'était ma lutte

  • Photo du rédacteur: Bipol Air 22
    Bipol Air 22
  • 22 juin
  • 5 min de lecture
Journal intime

En février 2023, j'écrivais :


"Un beau jour, je me sens presque revivre : j'ouvre mes volets, je souris presque en regardant l'oiseau qui s'envole, j'arrive même à prendre une douche.


Un beau jour, je me relève, je vais mieux, un jour, deux, trois, et je souris aux brins d'herbe sur lesquels je marche en réussissant à promener mon chien.


Un beau jour, je flanche, mais le lendemain je rebondis. J'ai de nouveau confiance en moi, en mes capacités, je sais que j'y arriverai et j'y parviens enfin.


Un beau jour, je me lève, je me lave les dents, je me douche, je me fais belle, je me fais à manger, je passe un coup de balai, mon chez-moi est rangé et propre, je me sens bien.


Un beau jour, je retourne à mes projets, je les mène à mon rythme, je suis fatiguée, un peu angoissée, mais ils me portent et sont gratifiants.


Un jour moins beau, je rencontre des obstacles, je les enchaîne, une claque, une angoisse, puis deux ou trois, je tiens bon parce que j'y crois et je crois en moi. Enfin je me fais confiance, je me repose un peu, je parle moins, je laisse faire, mais dedans je sais.


Je sais tout ce qui se passe, je le sens, je sens tout. Je vois tout, aux dépens des autres, je ressens tout, et je mène tout de front. Et je tiens.


On me dit que je suis forte, qu'on n'aurait pas accompli la moitié de ce que j'ai fait, mais je ne vois que la liste des taches qu'il me reste à faire, longue comme la route 66, et qui s'allonge, autant que grandissent mon angoisse et le sentiment de ne pas être à ma place. Et on me ment quand on me dit que tout va bien. Et je (me) mens quand je dis que pour moi aussi.


Tout s'étiole, se défait, je ne me sens plus légitime.


Un coup encore, on me dit de quitter ma place pour y mettre quelqu'un de sain d'esprit. Un coup aussi, on veut me cacher quand je veux témoigner à visage découvert. Et le coup de grâce, ma maladie et moi, ne sommes plus désirées, sommes de trop, épuisons, faisons le mal autour de nous.


Un jour plus moche alors, je chute, je tombe. Assise à terre contre les meubles de la cuisine, ma tête heurte les poignées des tiroirs autant de fois que les coups qu'on m'a donnés sont nombreux. Je ne contrôle plus rien. C'est le monstre en moi qui dirige. Je n'ai plus conscience de rien. Et il leur donne raison à tous.


Je reste allongée sur le sol froid, des litres de larmes s'écoulent de mes yeux, des sceaux de morve de mon nez, des bruits sourds de mes oreilles, je ne sens que le poids de la douleur, le froid du lino et le sang à l'arrière de ma tête. Mon chien me ramène à la vie et me montre l'amour inconditionnel qu'il éprouve pour moi et que je mérite.


Ce jour s'est assombri, il fait nuit et dehors il gèle. En moi tout s'éclaire : c'est moi qu'on épuise, c'est à moi qu'on fait du mal, moi je n'ai rien à me reprocher, moi je vaux mieux que tout ce qu'on veut me faire croire. Je ne suis pas faible, je suis fragile.


Malgré ma force, je suis fragile.


Alors oui je vois clair. Je dois partir. Pas fuir, pas mourir, juste partir. Quitter ce qui m'empêche d'avancer. Je vais me retrouver, enlever le poids, vivre pour moi, retrouver ma fille et mes amis, même s'ils sont loin, me laisser à nouveau entourer de leur chaleur. Oui c'est ça. Je suis soulagée, plus légère, même si je suis encore triste.

Tout ira mieux maintenant. Un billet de train, des câlins réparateurs, des baisers magiques, des j-t-aime-fort si bons à entendre de/à ces personnes si précieuses à ma vie et qui me manquent tant.


Je regarde en arrière, je ne regrette rien, je souris même. Une larme, de bons souvenirs malgré la douleur, des bras qui étreignent, qui consolent. Les bons mots au bon moment. Ils m'écoutent, me soutiennent, sont là pour moi.


Moments trop courts. Tous nous retrouver, vite ! La douceur prend le pas sur la douleur. Elle reviendra, de moins en moins vive, ils seront là pour moi, parce que je vaux la peine.


On m'a dit des tas d'horreurs, on m'a rabaissée et fait douter de ce dont j'étais sûre, on m'a rejetée, je croyais qu'on m'avait vaincue par KO mais je me relève, vite cette fois, et je repars en guerre, contre ces mots blessants, contre cette mise à l'écart, contre ces douleurs injustes qu'on nous inflige.

Et si j'y arrive, tu le peux aussi.


Je m'appelle Anne, j'ai 46 ans, et je suis atteinte de troubles bipolaires."


Hier

Tout ça, c'était hier. J'ai bien vécu tout ça, j'ai bien ressenti tout ça. Et les choses évoluent. Les pensées évoluent et s'apaisent. C'était plein d'espoir, d'espoir terni, mais il était bien présent.


Aujourd'hui, deux ans plus tard, une rechute de plus, de laquelle j'ai appris, sur laquelle j'ai travaillé, la rancœur ne m'habite plus. La colère, encore un peu parfois, de façon légitime et toujours maîtrisée.


Aujourd'hui, je suis fière de moi, de m'être relevée, mieux, d'être debout, de me connaître, de véhiculer des messages, et de pouvoir parfois en rire, tout au moins en sourire.

Les troubles bipolaires ne sont pas une fatalité : on peut vivre avec. Je vis bien avec eux, j'aime ma vie, je suis heureuse.


Aujourd'hui, on ne me rejette plus : je choisis qui je décide de fréquenter.

Aujourd'hui, on ne me comprend pas plus : je n'attends plus ce qu'on ne peut pas m'offrir.

Aujourd'hui, il m'arrive de souffrir, je sais que c'est passager : je relativise.


Je m'accepte. Je m'aime.


Je sais que les troubles bipolaires ne me définissent pas. Ils ne sont pas moi, je ne suis pas eux. C'est finalement ce qui me rend le plus fière : le savoir, le transmettre. Avoir acquis un peu de sagesse, avoir identifié ce qui était bon pour moi, ne plus faire en fonction des autres, mais faire en fonction de mes disponibilités, qu'elles soient physiques ou psychiques.


Mon adage : ne pas lutter contre, mais vivre avec.

Lâcher prise.


Hier, je signais tous mes textes par "Je m'appelle Anne, j'ai xx ans, je suis atteinte de troubles bipolaires".

Aujourd'hui, je m'appelle Anne, j'ai 48 ans, je reste vigilante et les troubles bipolaires ne me préoccupent plus. Je ne signe plus en précisant que je vis avec une bipolarité, je suis en paix.

3 Comments


Guest
Jun 23

C´est un très beau témoignage décrivant bien tous les bons et mauvais moments vécus par Anne dans lesquels se retrouvent les bipolaires avec des nuances, mais contrairement à Anne xx, je ne parviens pas à me valoriser, je considère que je n´ai pas assuré dans mes emplois et qu je n´ai pas été un bon mari ni un bon père bien que je me donne l´excuse de la bipolarité.

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J-Paul
Jul 06
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je me reconnais dans le témoignage précédent.😉

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