L'urgence vitale face à la pénurie de médicaments contre la bipolarité
- Bipol Air 22
- 11 avr.
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Dernière mise à jour : il y a 5 heures
Benoit Thibaut, France 3 Bretagne - 02.04.2025

Privée de traitement du jour au lendemain, Anne Saint-Cast décrit l'angoisse dévastatrice d'une vie suspendue à un médicament introuvable : "Je voyais mon traitement fondre et l’angoisse monter." Un témoignage qui met en lumière la fragilité du quotidien des personnes bipolaires.
Anne Saint-Cast se souvient précisément du moment où son monde a basculé. "Quand on me prescrit un médicament, je ne peux même pas imaginer qu'il puisse manquer", raconte-t-elle. "C’est comme aller acheter des bananes. On imagine mal ne pas en trouver." Pourtant, un jour, dans une pharmacie près de Saint-Brieuc, les étagères se sont vidées. "Plus rien. Rupture de stock. Défaut de fabrication", annonce froidement le pharmacien. Pour Anne, cette simple phrase signifie le début d’un cauchemar.
L’angoisse du lendemain
Anne Saint-Cast, bretonne et formatrice en santé mentale, vit avec une bipolarité particulièrement violente. Depuis plusieurs années, son quotidien dépend du Dépakote, un médicament crucial pour réguler son humeur et contrôler ses crises d'épilepsie. "Sans ce médicament, mon quotidien devient une lutte", explique-t-elle. Lors de la première pénurie, elle navigue entre pharmacies et ordonnances, jouant avec les limites légales pour éviter la catastrophe. Mais bientôt, même cette stratégie atteint ses limites.
"Je n’avais plus de stock. Je voyais les jours défiler, mon traitement fondre, et l’angoisse monter", se souvient-elle. La veille du jour où elle allait se retrouver sans traitement, miracle, la production reprend. Mais le soulagement est bref : "Quelques mois après, rebelote. Nouvelle rupture."
"Nos vies entre leurs mains"
Cette fois, Anne ne résiste pas. L’anxiété l'envahit, devenant incontrôlable. "J’ai rechuté très vite, très fort", confie-t-elle, la voix encore nouée par l'émotion. Le Dépakote l'aidait à éviter crises bipolaires et crises d’épilepsie. Sans lui, c'est le retour aux périodes sombres, ponctuées de crises violentes toutes les deux semaines.

Ce qu’elle dénonce, c’est l’indifférence glaciale des laboratoires pharmaceutiques. "Ils n’ont pas conscience qu'ils tiennent notre vie entre leurs mains", lâche-t-elle, catégorique. "Nous ne parlons pas d’un rhume. La bipolarité est une maladie tellement grave que 23% des patients ont déjà tenté de se suicider." Elle insiste : "Faites le calcul, sur les 60 millions de Français, 10% sont bipolaires. C’est énorme. Vous en croisez forcément tous les jours sans le savoir."
Et sans aller jusqu’au suicide, sans médicament beaucoup ne peuvent pas assurer leurs activités professionnelles. “Dans ce cas c’est la chute, le risque de perte d’emploi, de tomber dans la précarité”. Face aux pénuries de médicaments, Anne le rappelle encore : "La bipolarité, ce n’est pas de la tristesse passagère. C’est notre vie, fragile, entre les mains des labos."
La voix puissante de Nicolas Demorand
Il y a quelques jours, Anne a été profondément touchée par la prise de parole publique de Nicolas Demorand, animateur phare de France Inter. Il a révélé sa propre bipolarité à l’antenne, déclenchant une onde de choc émotionnelle chez elle et dans toute la communauté. "Quand je l’ai entendu, j’ai ressenti une émotion intense", explique Anne, sensible au courage du journaliste. "Il aurait pu se contenter de dire 'Je suis bipolaire'. Mais il a surtout dit : 'Regardez-moi, c’est possible. On peut vivre, travailler, réussir malgré la maladie'."
Malgré quelques réserves initiales, Anne salue la force de ce témoignage qui contribue à casser le silence pesant autour de cette maladie. "Il m’a donné espoir, à moi et à beaucoup d’autres. C’est une voix puissante, une voix nécessaire", conclut-elle avec reconnaissance.

Une maladie aux mille visages
Anne Saint-Cast préside aujourd'hui l'association Bipol’Air 22, créée en 2022 dans les Côtes-d’Armor. Avec ses 70 membres, elle offre un soutien vital aux personnes touchées par la bipolarité dans la région. Son engagement est quotidien, son combat personnel. « Quand vous avez une bipolarité, vous vivez constamment avec cette peur sourde de perdre pied », décrit-elle.
La pénurie actuelle en France concerne notamment la Quétiapine, un médicament essentiel utilisé pour réguler l’humeur, lutter contre les psychoses et prévenir la dépression sévère. Sans ce traitement, certains patients peuvent sombrer rapidement dans une spirale dangereuse, parfois mortelle. "Quelqu'un en pleine psychose peut se jeter par la fenêtre, persuadé qu'il peut voler", explique Anne avec gravité. "Ce n’est pas volontaire, c’est la maladie."
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En 28 ans de traitement, je n'ai pas eu de rupture d'approvisionnement, je comprends ce que tu as enduré. actuellement un produit contre une autre maladie manque régulièrement, je lui substitue du psyllium, non remboursé.