Anne et le diagnostic
- Bipol Air 22
- 15 nov. 2022
- 2 min de lecture

25 ans.
On m'a dit que j'étais dépressive pendant 25 ans.
Pendant 25 ans, on m'a bourrée d'antidépresseurs en me disant qu'il fallait attendre 6 mois pour que ça fasse effet et que les effets indésirables étaient plus nombreux que les effets attendus (enfin les mauvaises nouvelles, on les dit pas, on laisse la surprise).
Alors j'ai pleuré des litres de larmes, j'ai perdu des kilos de cheveux, pris une tonne, perdu un peu moins, et avalé des comprimés, des gélules, des gouttes, des pilules, qui parfois avaient du mal à passer. J'ai fait des conneries, j'étais trop joyeuse, trop exaltée, trop déjantée. La moto, la vitesse, les dangers, le sexe, le fric, l'insomnie, aucune fatigue, l'alcool pour faire la fête, l'alcool pour tenir, l'alcool pour rire et être bien dans ma peau. On appelle ça des virages maniaques, mais on m'avait rien dit... je savais pas que j'étais en danger, je croyais que je bouffais la vie.
Et un jour, lors d'une longue hospitalisation de plus, le diagnostic tombe : je suis bipolaire. On ne me dit pas grand chose, on ne m'explique rien, on me laisse comme ça, dans ma chambre, après une annonce entre deux portes, entre deux patients.
Et si c'était un psy dehors qui me l'avait annoncé comme ça ? J'aurais fait quoi ? J'aurais repéré un train, un bus, une voiture qui auraient roulé trop vite pour me jeter sous leurs roues ? Je me serais pris une énième cuite alors que j'avais vaincu l'alcoolisme ? Je me serais jetée d'un pont ? J'aurais pris un platane trop rapidement en moto ?

Alors il a fallu que je sache. Les bouquins. La manie, l'hypomanie, la cyclothymie, la dépression, la mélancolie, l'état dépressif majeur. Trop "psy", trop flippant, que des mots.
Des gens, j'avais besoin de voir des vrais gens. J'ai poussé la porte d'une asso et on m'a accueillie. Après un entretien individuel, quelques groupes de parole, j'ai commencé à comprendre ce que je traversais et ce à quoi j'allais m'attaquer. Je me retrouvais en presque chaque participant qui se confiait. C'est là que le soulagement est apparu. Enfin, on avait mis un mot sur ce dont je souffrais. Enfin on allait pouvoir me soigner comme il fallait.
Le soulagement. C'est ce que je retiens de mon ressenti face au diagnostic. J'ai eu la chance de ne pas avoir de période de déni, cette période où tu es sûr que tout le monde se trompe, que tu es persuadé de ne pas être malade. Moi je savais, je voulais juste qu'on me dise ce que j'avais pour pouvoir prendre ce taureau dévastateur par les cornes et l'empêcher de continuer à bousiller ma vie et celle de mes proches. J'ai bien eu des passades pendant lesquelles je refusais d'être malade, où j'en avais marre, où j'avais envie de baisser les bras, mais je suis toujours là.
J'ai appris de quoi je souffrais en 2017. Après mon investissement pour vivre et ne plus survivre, pour que ma vie m'appartienne et ne soit plus la propriété de la maladie, je la dédie à aider les autres, les personnes qui, comme moi, ne veulent plus lutter contre mais vivre avec.
Je m'appelle Anne, j'ai 46 ans et j'ai un trouble bipolaire.

Comme ton témoignage est vrai, touchant. Merci et bravo Anne !
🥰Merci pour ce témoignage.